Le 16 novembre 2015, Georges Dallemagne, député fédéral belge, déclarait dans un entretien sur France Culture :
« On a parlé d’un certain laxisme à Molenbeek et il a certainement existé. Mais on a moins parlé d’un laxisme d’État qui existe en Belgique depuis les années 70 par rapport à l’Arabie Saoudite. Ça a commencé au moment du choc pétrolier et on a confié un bâtiment qui est devenu la mosquée du Cinquantenaire, sans contrôle, et qui a été un véritable cheval de Troie du Salafisme en Belgique et qui a fait le terreau du radicalisme en Belgique à partir des années 70 et ensuite il y avait les Frères musulmans à partir des années 90. »
Mais ce laxisme d’État n’est qu’un aspect de l’autisme généralisé d’un pouvoir économico-politique planétaire par lequel est entretenue l’organisation de l’apparence où se reproduisent les intérêts tant réels qu’illusoires des nantis et des dépossédés.
La quintessence des périodes de barbarie brune et rouge où l’on proclamait tout au long de XXe siècle : « Plus jamais ça !», constitue désormais la norme quotidienne d’une rationalité mercantile partagée par tous les enfants réconciliés de Staline et d’Hitler qui tiennent le gouvernail du capitalisme traînant sa barbarie criminogène ordinaire.
Cette barbarie banalisée dévastant la vie sur la Terre, en l’humain et entre humains, se construit sur la base d’une pollution mentale où le vrai et le faux sont les pile ou face de la même fausse conscience.
Toute tentative d’une écologie mentale est bannie et stigmatisée dès lors comme insensée par la pensée unique des adeptes de la dévastation rentable. Se heurte ainsi à la meute des têtes molles des ratiocineurs de l’Ordre établi toute volonté de dépasser le dictat du constat pour indiquer la racine des maux :
La planète est malade. Ce qui y règne est pathologique. Une pathologie chronique de dix mille ans. Son diagnostic est établi et engagé depuis fort longtemps. L’économie politique nommée capitalisme est un système dévastateur et mortifère. La tyrannie de la rentabilité marchande au profit d’une caste au pouvoir est maintenue au prix d’une destruction et autodestruction permanente. Le malaise est consubstantiel de cette civilisation et n’épargne ni les êtres ni les choses. L’état de terreur contre la vie en imposant une survie aléatoire et déshumanisante engendre en même temps des suicidaires et des meurtriers.
En deçà des fausses luttes spectaculaires des formes rivales du pouvoir séparé, et au-delà des unités et divisions dans l’organisation de l’apparence, la planète entière est le champ d’un même système de totalitarisme marchand.
S’il est évident que la Russie de Poutine n’est qu’un avatar de l’intégration du capitalisme d’Etat stalinien dans le mouvement du capital mondialisé, en revanche ce fait demeure encore dissimulé que le théofascisme islamiste est né dès son origine de la matrice géopolitique du capitalisme sans en être jamais sorti. Ainsi il est presque interdit de rappeler : le rôle actif de la diplomatie britannique en Egypte dans la constitution de l’organisation des Frères Musulmans ; le rôle de la diplomatie française dans la construction et l’imposition de la figure de Khomeiny en organisant l’installation de celui-ci à Neauphle-le-Château ; le rôle des conseillers militaires américains dans la transition du pouvoir après la chute du régime du Shah en 1979 en Iran et l’instauration d’un pouvoir islamiste ; le rôle de la CIA dans la création des Moudjahidine et d’Al-Qaeda en Afghanistan ; et surtout la création et le maintien du régime islamiste par excellence de l’Arabie Saoudite en tant que grand allié des pouvoirs occidentaux…
Il en va de même du fait que les trois principaux régimes théocratiques de la région (dont la constitution est basée sur la charï’a ) à savoir le Pakistan, l’Iran et l’Arabie Saoudite, sont de facto soutenus par l’occident, l’Iran et le Pakistan étant en outre dotés du nucléaire par l’industrie nucléaire occidentale.
Le cas de la théocratie iranienne est à cet égard bien significatif : de même que la dictature de Pahlavi n’a cessé d’utiliser l’institution du clergé chiite contre les revendications sociales radicales, les pouvoirs occidentaux ont trouvé dans la théocratie répressive de Khomeiny le rempart contre la radicalisation du mouvement social, notamment à ses débuts pendant la guerre froide.
L’idéologie de Khomeiny, largement inspirée de celle des Frères Musulmans et de sa branche iranienne les Fedayin d’Islam, est la base de la constitution du régime théocratique en Iran. C’est à partir de l’instauration de ce régime que commence l’exportation du nouveau fondamentalisme islamique marquant le tournant de l’islamisation apparue dans les pays arabo- musulmans ainsi qu’au niveau international.
En dépit de presque quatre décennies d’un régime de terreur et de répression anachronique en Iran, les relations internationales avec ce régime ont toujours été dictées par la Raison d’état et l’affairisme.
Quant à l’apparition de l’État islamique de Daesh et son cortège d’horreurs, les faits sautent aux yeux. Plus qu’un sous-produit de l’ignorance et du despotisme oriental, ce monstre est coproduit par les mêmes laboratoires géopolitiques qui ont fabriqué Al-Qaeda et Ben Laden avec les pétrodollars accumulés en Arabie Saoudite et les Emirats arabes. Pourtant ce régime, est toujours soutenu et armé par tous les pays en mesure de vendre. Le théofascisme est produit par le technofascisme et leur conflit engendre un obscurantisme postmoderne rendant la société invivable.
Pendant longtemps les dictatures postcoloniales et leurs corollaires islamistes, cautionnés les uns et les autres par les pouvoirs occidentaux, n’ont cessé d’opprimer des populations. Les monstres étant désormais sortis de la bouteille, la mort et la terreur frappent partout.
La géopolitique du terrorisme révèle l’usage terroriste de la géopolitique. Avec ses coups fourrés, ses maladresses et ses réussites à court terme, celle-ci relève purement et simplement de la pratique mafieuse du partage des territoires rentables, de la protection menaçante, des alliances susceptibles d’être trahies.
Sous les drapeaux bigarrés du fanatisme religieux, du nationalisme, du tribalisme, c’est une internationale du profit qui règle en coulisse, un spectacle où les figurants meurent par milliers tandis que, dans l’impunité, les multinationales détruisent les ressources naturelles pour tirer un argent stérile de l’exploitation désastreuse du gaz de schiste, des gisements aurifères, du pétrole, du bitume, du tungstène et autres pollutions marchandes.
Tous les Etats sont impliqués dans des guerres mafieuses mais il n’y a en réalité qu’une seule et même guerre. Une guerre impitoyablement menée contre les populations de la terre entière.
Si l’État veut s’investir dans des conflits lucratifs, qu’il le fasse sans nous. Notre problème c’est de nous dépêtrer de cette guerre qu’il intensifie chaque jour en restreignant les dernières libertés individuelles, jadis arrachées par nos luttes d’émancipation.
Nous refusons de nous laisser mobiliser pour combattre une barbarie qui est le produit de la barbarie du mercantilisme mondialiste. Nous n’entrerons pas comme des pions sur l’échiquier du sacro-saint profit.
Assez de vies perdues dans la machinerie des spéculations boursières !
Après avoir mis à mal nos acquis sociaux, l’État, valet des multinationales, voudrait nous enrôler dans ses milices d’unité nationale. Eh bien non ! La seule communauté avec laquelle nous soyons solidaires, c’est celle des êtres humains, des êtres qui se comportent humainement, quelles que soient leurs idées, leurs croyances, leur origine géographique.
La désobéissance civile est un droit. La liberté de vivre est un droit.
Elle révoque la liberté de tuer, d’exploiter, d’opprimer, elle révoque les libertés que le commerce nous impose.
Il faut larguer l’État comme on largue les amarres. Seules des assemblées, des collectifs peuvent s’essayer à cette tâche. Ce n’est pas aisé mais quand le malheur vient de ceux qui prétendent faire notre bonheur, rien n’est plus indispensable que de le bâtir sans eux.
Solidarité sans frontière
Novembre 2015